L’épreuve du confinement

, par  Florence , popularité : 91%

Le sens que nous donnons à l’épreuve du confinement va décider de l’après... Comment renverser cette épreuve en opportunité ? Comment un cheminement philosophique ou spirituel peut-il nous aider à affronter l’épreuve de l’épidémie et à préparer ou construire le monde d’après ? Une visioconférence (vidéo disponible en fin d’article) du philosophe Abdennour Bidar, grand penseur de la laïcité et de la fraternité, co-fondateur du centre Sésame, le 5 avril 2020

Le point de départ de la réflexion présente est que la façon dont nous vivons le confinement va déterminer notre façon de préparer, de vivre l’après.
Autrement dit, le sens va déterminer l’action.
Trois pistes de méditation sur le sens du confinement se présentent. Cette épreuve, il nous appartient individuellement et collectivement d’en faire le début d’un chemin…
Reprenons à notre compte la distinction opérée par Marc Aurèle entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, nous échappe. Quelle liberté, quelle responsabilité nous incombe ?

1-Renverser l’adversité en opportunité
Ne pas se contenter de maudire, de subir, d’attendre en serrant les dents… Mais faire de ce moment-là une « épreuve », dans tous les sens du terme.
Qu’est-ce qu’une épreuve ?

a-C’est d’abord un test, un révélateur.
Nous sommes mis à l’épreuve, forcés de rester entre quatre murs.
C’est presque un pléonasme : une épreuve de vérité.
Et effectivement, en repensant à la réflexion de Pascal, au XVIIè siècle, sur le divertissement, nous reprenons conscience de ce que l’être humain a besoin de se distraire de lui-même. Le plus difficile pour l’être humain est de rester dans une chambre, chambre ayant le sens d’un lieu clos. Autrement dit, le plus difficile est de penser à la mort, car le paysage symbolique de ce lieu clos, dont nous sommes plus ou moins conscients, revient à être « comme enfermés dans un cercueil… » Nous sommes renvoyés à nos limites, renvoyés continuellement à nous-même.
Même si nous sommes confinés avec l’autre. Par exemple, notre patience trouve ses limites, au point qu’on ne se supporte plus.
Dans cette épreuve du confinement, quelque chose est testé de mes capacités.

b-Une épreuve est aussi un exercice, au sens où l’emploie Pierre Hadot (qui a écrit un ouvrage sur les exercices spirituels).

*Autrement dit une opportunité de travailler sur soi.
Une sorte d’exercice de lâcher prise : je ne peux pas vivre comme d’habitude, je ne peux pas faire ce qui me plaît dans la vie d’habitude. C’est un travail d’acceptation. Cela doit me conduire à réfléchir de manière critique.
Ce qui peut faciliter cet exercice spirituel est la prise de conscience de la relativité de ce qui me paraissait important. Qu’est-ce qui est vraiment essentiel dans ce moment où tant de choses me manquent ?

*Un exercice, dans ce moment de temps retrouvé, de prise de conscience de ma relation à l’autre. De qui me soucier ? Quels sont les proches, amis ou autres, dont je dois prendre des nouvelles, dont je dois prendre soin ?
*Quant aux autres avec qui nous sommes confinés, comment ne pas penser à la pièce de théâtre Huis clos de Sartre ? « L’enfer, c’est les autres. » Le problème du « tout le temps avec les autres » se pose.
Dans cet ensemble de situations contraintes, il s’agit de renverser, d’utiliser l’expérience : comment thématiser, approfondir, pour prendre en charge par la parole les difficultés rencontrées ? Et ainsi, par exemple, mettre en lumière que pour l’autre aussi, c’est difficile — et pouvoir les dépasser.
Dans ce troisième type d’exercice, il s’agira de « dépoussiérer l’amour », de travailler sur les banalités, les habitudes prises, les priorités.

Vais-je sortir du confinement comme j’y suis entré, « comme avant » ?
Après cette mise au point, dans quel état d’esprit vais-je sortir ? Avec quelles résolutions durables ? Comment faire en sorte que ce ne soient pas des promesses en l’air ? Quelles petites choses sont à changer ?

Quelques vigilances critiques sont aussi à tenir quant au sociétal, au politique.
I. Observons comment « le système » fait pour nous empêcher de réaliser ce travail, par la continuité, l’afflux, l’abondance d’informations anxiogènes. Lesquelles nous amènent à une dissipation extrême, une forme de divertissement… Nous pouvons passer des heures à rechercher des séries ou émissions télévisées : on peut se donner les moyens d’échapper au confinement…
II. « Ne vous arrêtez pas » : par les cours et l’aide aux devoirs à la maison pour les enfants, par le télétravail, beaucoup ont affaire à un afflux de travail. « Gardez le même rythme », ou même pire.
« Il existe quelque chose de pervers dans ces injonctions », déclare Abdennour Bidar.

2-Quelle interprétation symbolique pouvons-nous faire de l’événement ?
Au sens littéral : nous sommes attaqués par un méchant virus, et nous nous défendons.
On ne fait pas attention à ce qu’elle peut dire sur nous-mêmes. Pourtant, un lien est à faire avec qui nous sommes.
Le principe de l’interprétation symbolique, c’est toujours l’effet miroir.
Dans le passé religieux, ce genre d’événements pouvait être considéré comme un
« avertissement du divin ». Aujourd’hui, on rit beaucoup de ce genre d’interprétations, qui est assimilé à de la superstition. Mais cette notion d’avertissement a aussi un intérêt. C’est un événement qui nous touche là où ça fait mal, là où nous avons quelque chose qui ne va pas.
Dans ce passé religieux, il pouvait aussi être fait référence à « la Providence ».
Un adage soufi dit « le Bien est dans ce qui arrive ».
Un autre adage : « là où est le mal, il y a le remède ».
Quelque chose est là qui doit nous aider à voir que nous faisions fausse route.

A.Bidar émet la proposition d’une triple symbolique, d’une triple dimension interprétative (celles de nos liens à la nature, à l’autre, à soi) :

a-« Cette pandémie, ce virus, c’est la nature qui se fâche. »
Quelles raisons la Nature a de se fâcher ?
L’épidémie n’arrive pas dans n’importe quel contexte, mais dans celui d’une agressivité meurtrière envers elle. Auparavant, on ne lui donnait que de « petits coups de canifs ». Depuis deux siècles, on intoxique, on empoisonne, on déforeste, on détruit.
Quel est l’état de notre lien à la nature ?
Pourquoi la nature est-elle obligée à tant de violence ?

b-Dans le domaine du lien à l’autre :
Les relations humaines sont en souffrance, beaucoup du lien à l’autre est cassé... Dans les EHPAD, les personnes déjà isolées ne peuvent recevoir de visite et meurent seules.
Nous sommes comme contraints d’aller boire le calice jusqu’à la lie.
Nous vivons une exacerbation de ce qui existe habituellement : une souffrance des liens, des inégalités exacerbées (écarts grandissant entre richesses et pauvreté), une attitude indigne envers les réfugiés, etc. Ça ne peut plus durer !

c-Le virus nous oblige à rester avec nous-même.
Là où d’habitude, la société nous donne sans arrêt des injonctions à l’extériorité, aux activités extérieures, nous voilà obligés de s’occuper de soi.
« Comme par hasard », c’est précisément dans ces trois domaines dysfonctionnels que le virus nous contraint à diriger notre attention.

3-En un sens plus initiatique : c’est une opportunité spirituelle de force majeure.
Par association d’idées, on peut penser à celui qui veut devenir moine bouddhiste : il va passer par une période de retraite de trois ans, trois mois et trois semaines.
Le retrait, la retraite, est plus généralement un classique de la vie spirituelle.
Dans l’hindouisme, cette période correspond au 4ème âge de la vie : « je coupe tous les liens, et je voyage avec mon bâton et mon bol de mendiant ».
(Le 1er âge étant celui de l’éducation ; le 2ème âge, celui de l’accomplissement, la maturité, la participation à la vie de la Cité ; le 3ème, celui de la transmission).
Quelle est la valeur initiatique de cette retraite ?
Celle du renoncement (à la gloire, à la réputation, à la réussite et à ses ambitions), de la véritable prise de conscience de tout ce à quoi je tenais.
Me libérer pour me consacrer à la mise en place de « routines » dans ma vie spirituelle – le moine bouddhiste ou autre a une discipline, un programme « qui le tient serré ». Avec ces trois pôles que sont la concentration, la consécration et l’unification de soi.
Tout cela constitue le sens exotérique (càd commun) de l’enfermement.
Mais il existe un sens ésotérique, subtil.
Je ne fais rien. Est-ce qu’il me manque quelque chose ?
Dans cette exigence, je peux vivre une profonde prise de conscience.

Dans cet enfermement, jamais les choses n’ont été aussi ouvertes.
Où est le véritable dehors ?...
Ce n’est pas seulement une expérience ou une question de dé-stress.
Je peux faire l’expérience de « Dieu », de l’infini, de ce qui est.
Nous sommes invités à méditer, nous nous rendons vigilants envers ce qui est.
Nous avons l’opportunité de faire du confinement une prise de conscience et un choc de conscience de responsabilité envers nos trois liens.
De fait, l’émerveillement devant des expériences de solidarité se manifeste.
Mais par après, faisons attention à ne pas nous laisser aspirer par la reprise de toutes les injonctions économiques et politiques.
C’est une invitation à « transformer l’essai ».
S’occuper de soi est un luxe, un privilège ; et deviendra ainsi une question politique (au sens de relative à la "Cité", à la vie en société).

La vidéo de la conférence complète est ici (1h03) :

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